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 De l'insoutenable beauté de la laideur.

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Le Roy
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Le Roy


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Date d'inscription : 18/09/2011

De l'insoutenable beauté de la laideur. Empty
MessageSujet: De l'insoutenable beauté de la laideur.   De l'insoutenable beauté de la laideur. Icon_minitimeDim 30 Oct - 17:38

Chapitre I
« Le bruit délicat d’un melon qui explose »



Couché sur le toit de ma roulotte flambant neuve, La nuque posée sur mes mains croisées comme seul préoccupation de confort, je promène mon regard entre les étoiles qui pictent le ciel d'encre.
L'odeur riche et fraîche des sous bois et de l'herbe humide bataille avec celle plus rugueuse des braises agonisantes du feu de camp sur le déclin. Une légère brise agite la cime des arbres, donnant une voix chuintante aux feuilles sèches et rousses, et les hululements d'une chouette se détachent dans la nappe discontinue du chant des grillons.

Pourquoi sur le toit? par habitude peut être, sauf que celle ci reste immobile et silencieuse.

Les bruits de quelques ébats viennent s'ajouter aux bruits de la nuit, et je les écoute, comme une symphonie lointaine faites de plaintes et de cris, parfois de rires et de soupires. C'est étrange de voir à quel point l'extase la plus intense se confond volontiers avec la douleur la plus aiguë, la souffrance indicible de celui qui croit que le décompte touche à sa fin.

C'est ce dernier masque que j'ai rencontré la première fois, sur le visage d'une des filles du "Trou Margot", ce bel établissement pour marins en escale, ou autres ivrognes incapables de se satisfaire de leur propre main. C'est un souvenir qui ne devait jamais se dissoudre dans ma mémoire.
Cette jeune fille, dont le nom m'est inconnu, était allongée, genoux relevés, sur un lit maculé de tout ce qu'un corps peut perdre en donnant la vie à un autre. Engrossée par un soudard de passage neuf mois plutôt, ma mère ne m'avait pas laissé le choix et m’avait planté face à ce visage déformé par la douleur pour porter une bassine de terre cuite remplie d'eau tiède plus lourde que moi.
Je n'avais jamais vu son visage auparavant, mais je me rappelle de la terreur que j’ai ressenti en contemplant cette face, cette bouche grande ouverte, ces dents jaunâtres et luisantes liées aux lèvres distendues par des filets de salive. Et ces yeux, tantôt fermés avec force, tantôt exorbités par un soudain éclair de souffrance, déversant des torrents de larmes sur des joues rougies par l’effort.

Je me souviens…je n’ai jamais pu regarder ma mère sans que mon imagination ne m’entraîne à lui prêter ce masque grotesque, qu’elle à porté, bien sur, et par ma faute.

Puis, la terreur se changea en autre chose. Je regardais ce visage tordu, malmené, avec la même fascination que l’on peut ressentir devant une flamme, dansante et hypnotique. Je n’entendais plus les cris, ni les exhortations sonore de ma mère, perdu dans cet océan de contraire, cette douleur de mort d’où s’échappe la vie nouvelle.
J’ai ressenti à travers tout mon petit corps d’enfant cette beauté démentielle et transcendante, comme une énergie terrassant la faiblesse des mots.

Puis la fascination s’est changée en contemplation. Je ne pouvais plus détacher les yeux de cette grimace de douleur, la détaillant, l’arpentant sans pudeur, l’explorant comme un explorateur s’approprie une nouvelle terre par son regard froid de scientifique.

Puis la contemplation s’est changé en doutes et en mal-être.
La douleur, intense et pure, qui ferait pâlir de jalousie le martyr de tout les saints réunis, et moi je la contemplais, et je la trouvais d’une indescriptible beauté. Étais je un monstre? Étais je encore humain de ne pas ressentir ce qu’à cet instant, j’aurais du ressentir? de la compassion? De l’empathie?

Non rien de tout cela. Et mon esprit me hurlait que j’étais mauvais. Un être vil et sans pitié, qui voyait la beauté dans l’horreur.

Bien sur je n’en suis plus là, mais imaginez cette idée dans la tête d’un enfant de huit ans, qui se sent coupable de regarder avec délectation un poisson sur la grève, à moitié dévoré par les mouettes et les crabes, et voir sans la comprendre dans ses yeux d’une pâleur de mort la beauté des couleurs.


Les premières gouttes glaciale d'une lourde pluie d’automne m’extirpent de mes souvenirs. Je descends de mon perchoir, les membres engourdis par l’inaction et entre dans la roulotte, en retrouvant avec peine la réalité. En poussant la porte je souris et songe qu’une bouteille de la plus infâme piquette accompagnée d'une renarde souriante serait la bienvenue.
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